
«"Être dans le bruit". Telle est la consigne, [...] "Le monde sera bruit
ou ne sera pas"», dénonce le narrateur-sans-nom, le silenciaire du
roman. Du bruit, il dit encore qu'il asservit, qu'il corrompt l'être, qu'il
est un instrument-de-non-laisser-être. Entre un monde voué au bruit
et le protagoniste, le conflit est donc irréductible.
Fuyant les bruits de la ville qui le persécutent jusque dans sa
chambre, le narrateur-sans nom entraîne sa mère et son épouse dans la
vaine et interminable quête d'un lieu inaccessible au son. Il a beau
affirmer qu'à l'inverse de son grotesque et tragique ami Besarión il
tient en bride aspirations et imaginations, qu'il s'acquitte des devoirs
du foyer et du bureau, peu à peu les noeuds qui rattachent au quotidien
se défont. Le champ de sa conscience tend à se rétrécir jusqu'à ne plus
laisser entrer - paradoxalement - que ce dont il a une crainte obsessionnelle,
à savoir les bruits. Enfermée dans une perception monomaniaque
de la réalité, s'égarant dans des ratiocinations compulsives, sa
raison s'altère et chancelle. Cependant, pour malade qu'elle soit, la
conscience du narrateur-sans-nom reste une conscience rebelle aux
prises - et en prise - avec le monde.
Pour évoquer la longue chute de son triste héros, Benedetto bannit
les artifices rhétoriques et les discours explicatifs ; il use d'une langue
sobre, ne s'attachant qu'à l'essentiel, et d'une efficacité étonnante. Son
écriture laconique, mordante, incisive, et qui ignore superbement les
transitions de la narration traditionnelle, est par ailleurs d'une étonnante
souplesse. Car la sobriété du style n'est point chétivité ; celui-ci
est au contraire riche de nuances et se plie à toutes sortes de registres :
familier, soutenu, descriptif, réflexif, voire, lyrique.
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