En 1951, alors que l'Allemagne de l'Ouest vivait encore sous le régime du
Statut d'Occupation - moins de six ans après l'écroulement du régime
hitlérien, moins de deux ans seulement après la fondation de la République
fédérale -, un écrivain qui avait, tout jeune, connu un grand succès
à l'époque de la République de Weimar, et dont le grand public n'avait
plus entendu parler depuis 1933, faisait paraître un gros roman qui devint
très vite ce que, à l'époque, on n'appelait pas encore un «best-seller».
Ernst von Salomon, l'auteur, avait alors quarante-neuf ans. Le Questionnaire
apparut comme un livre d'impénitence. L'idée de se servir du canevas du
fameux questionnaire, élaboré par les Américains pour prendre les
anciens nazis dans la nasse infaillible d'innombrables questions, pour
raconter sa propre vie et dénoncer l'imbécillité des vainqueurs, pour
montrer et démontrer qu'ils ne valaient pas mieux que les vaincus, pour
dénoncer les injustices et les mauvais traitements infligés aux Allemands,
cette idée était sinon géniale, pour le moins maligne et drôle. Le Questionnaire
paraissait rompre avec tous les conformismes et dresser ses réquisitoires
aussi bien contre les nazis que contre les Américains. Son ambition
et son ambiguïté faisaient du «Fragebogen» le livre le plus discuté, le premier
livre vraiment discuté, de l'après-guerre allemand. Il fut traduit dans
les principales langues. L'édition allemande, dans ses formes successives,
dépassa 250 000 exemplaires.
Joseph Rovan
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