Avec sa redingote grise et son petit chapeau, Napoléon passe pour un
personnage empreint d'une grande simplicité et peu vénal. Rien de commun
entre lui et le «vil métal» qui corrompt et déshonore les hommes.
Et pourtant l'argent fut son compagnon de route. Ne pas en tenir
compte serait oublier que la Révolution française, à laquelle il devait
tout, était la conséquence directe d'une crise financière que l'Ancien
Régime n'avait pas su maîtriser. Ce serait ignorer que la faillite du
papier-monnaie fut l'un des facteurs principaux du discrédit du Directoire
et qu'indirectement elle favorisa l'avènement d'un sabre capable de
rétablir l'ordre. Ce serait méconnaître que des expéditions militaires
décidées ou conduites par Bonaparte l'ont été pour des raisons économiques
(Italie, Saint-Domingue) ou ont échoué notamment à cause
d'une cruelle insuffisance de moyens (Égypte). Mais ce serait aussi ne
pas mesurer à sa juste valeur le redressement financier qui a consolidé
le régime consulaire. Et si l'on en revient à l'épopée, nier le poids de
l'argent serait passer sous silence l'incroyable défi relevé par Napoléon :
financer quinze années de guerres sans provoquer la faillite de l'État
alors que, deux décennies plus tôt, la guerre d'indépendance américaine,
pourtant modeste sur le plan militaire, avait suffi à mettre à genoux une
monarchie millénaire.
Les financiers ne firent aucun cadeau à Napoléon et l'argent fut
pour lui une préoccupation constante. En le «travaillant» sans relâche,
il s'en fit un précieux allié capable de favoriser son destin. Il l'utilisa
dans son ascension, s'en servit pour affermir son pouvoir et en fit encore
une arme politique (et posthume) dans le testament de Sainte-Hélène.
Il dut aussi le combattre dans sa guerre contre l'Angleterre. Les moyens
furent à la hauteur de l'enjeu, c'est-à-dire considérables, presque
miraculeux pour un pays dont la population était deux à trois fois
inférieure à celle de la France. Dans la lutte à mort opposant les deux
plus grandes puissances d'alors, il fallut trouver de part et d'autre de
l'argent, encore de l'argent, toujours de l'argent. Et la victoire finit par
sourire au pays qui possédait la plus grande surface financière. Voici
une autre façon, inédite, d'étudier vingt années qui ont profondément
marqué la France.
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