Eugène Le Roy (1836-1907)
"C’était à Périgueux, le soir de la Saint-Mémoire de l’année 1844. Nous étions à souper dans notre petit logement de la rue Hiéras ; il y avait là mon oncle Sicaire, le meunier du Frau, et son vieux camarade et ami, M. Masfrangeas, chef de bureau à la Préfecture, puis moi troisième, jeune drole de seize ans. La quatrième place était celle de ma mère ; mais la pauvre femme ne s’asseyait que par moments, tant elle était occupée du service, comme c’est la coutume chez les petites gens, dans notre vieux Périgord. Parmi les amis de mon pauvre défunt père, ma mère était en grande réputation de bonne ménagère et de fine cuisinière, et ce soir-là elle ne la faisait pas mentir ; aussi lorsqu’après la soupe et le bouilli, elle apporta un gros barbeau en court-bouillon, M. Masfrangeas ouvrit les nasières et, en se penchant un peu, renifla doucement le fumet bon sentant qui montait du plat : Ha ! Ha !
– Tu vois Frangeas, dit mon oncle, que je suis de parole ; je t’avais promis de te faire manger un barbeau de quatre livres pour le moins, et le voilà.
– C’est vrai, et tu fais bonne mesure, car celui-là en pesait au moins cinq.
Là dessus mon oncle servit à son ami, dont il écourtait le nom par coutume d’enfants, de même que l’autre l’appelait Rétou, un gros morceau de la bête, et la tête, à laquelle tenait un joli morceau du collet.
– Ho ! Ho ! faisait M. Masfrangeas, là ! là ! doucement ! Mais on voyait bien, quoiqu’il ne fût pas façonnier, que c’était un peu par honnêteté, et que cette part ne lui faisait pas peur, et la preuve, c’est qu’il y revint."
Hélie Nogaret a 20 ans. Il quitte Périgueux pour retourner au moulin du Frau, chez son oncle, le meunier Sicaire. C'est décidé : il deviendra meunier pour prendre la suite de son oncle.
Véritable peinture des traditions périgourdines par l'auteur de "Jacquou le croquant".
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