
«Libertin» est d'abord une injure - pire : un chef d'accusation. Mais l'histoire
des idées nous a enseigné que souvent les noms des mouvements, comme ceux des
partis en politique, naissent à l'occasion des polémiques, et que ce sont parfois
les adversaires qui aperçoivent le mieux l'unité de ceux qu'ils dénoncent. En
somme, la haine est parfois bonne conseillère : elle fait apercevoir l'unité d'un
programme, ses alliances et ses enjeux. Elle le fait à travers une certaine
déformation, qui a l'avantage de grossir les traits, mais l'inconvénient de saisir
parfois plus les conséquences, ou les effets d'actualité, que les matériaux
fondamentaux. La question qui se pose ensuite à l'historien est donc la suivante :
l'injure initiale peut-elle se transformer en instrument d'analyse, et à quel prix ?
La question n'est pas négligeable car l'histoire intellectuelle européenne ne s'est
pas constituée de façon continue et homogène ; ce sont souvent des courants
minoritaires (hétérodoxes religieux ; libertins et clandestins ; utopistes) qui ont
forgé les thèmes destinés à acquérir une force d'évidence. Ce qu'on a appelé, dans
des débats récents, le problème des «racines de l'Europe» gagne sans doute à être
aussi posé en ces termes : l'héritage le plus important n'est pas nécessairement
l'héritage d'idées qui furent en leur temps majoritaires.
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