Pour quelles raisons lire aujourd'hui, et prendre plaisir à lire, ce «récit
anecdotique» dont Charcot lui-même nous dit malicieusement dans l'Avant-propos
qu'il n'a «aucune prétention littéraire» ? Cent ans après son édition,
et soixante-dix ans après la mort de son célèbre auteur, Le Français au Pôle
Sud de Jean-Baptiste Charcot pourrait bien être l'un de nos plus grands livres
d'aventure. Le «Journal de l'expédition antarctique française, 1903-1905»
offre un concentré d'une rare densité de l'état scientifique de l'époque fin de
siècle, et un des plus étonnants et des plus romanesques récits de voyage de
l'ère symboliste.
L'ouvrage est bâti en trois parties. Le «Journal», pure oeuvre littéraire, en
est le centre. Il est ourlé d'une solide Introduction qui donne tous les éléments
historiques du contexte de l'expédition, puis de longues annexes.
Quand Charcot, dans l'avant-propos, déclare que l'expédition est «essentiellement
scientifique», cela signifie qu'il y a autre chose derrière ce prétexte,
et que l'essentiel est décidément ailleurs.
Cartographier l'inconnu est l'objectif du Français : la science se nourrit du
mystère, comme dans les romans de Jules Verne. Mais, ici, l'auteur vit son
voyage dans le champ de la réalité. Il va à la source réelle de l'inconnu. Cette
source, c'est le continent blanc, les «Terra Incognita Australis» dont par le Buffon,
«cette partie du globe égale au sixième des continents reconnus» dont
le Capitaine Nemo devint le maître un 21 mars 1868.
Jean-Baptiste est né le 15 juillet 1867 à Neuilly-sur-Seine. Son père, Jean-Martin
Charcot, le célèbre aliéniste, est professeur à la Salpêtrière - «l'hôpital des
fous». La jeunesse de Jean-Baptiste est agréable, entre la société brillante qui
se presse dans la propriété familiale et la vie sportive intense d'un jeune gentleman
- aviron, rugby, yachting. Enfant têtu, il souhaitait être marin et découvrir
le monde, à sa manière. Le père souhaite que son fils soit médecin ; Charcot
fils le sera donc. Mais à la mort du père en 1893, héritant une immense fortune,
ses rêves peuvent se réaliser.
Charcot entreprend la première expédition française dans les mers antarctiques,
retrouvant en cela un esprit de découverte délaissé depuis les expéditions
australes de Dumont d'Urville en 1838-1840. Il s'agira du premier
hivernage français dans les glaces australes, cinq ans seulement après le Belge
Gerlache de Gomery, auteur du premier hivernage jamais réalisé.
Le récit de voyage conte tout autant qu'une expédition «essentiellement
scientifique» une aventure intérieure et métaphysique.
Le 16 septembre 1936, Charcot à bord du Pourquoi pas rencontrera son
destin au nord ouest de l'Islande.
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