Le Chaudron fêlé
Ce livre se place sous l'égide de Flaubert. Dans une page célèbre de Madame Bovary, le narrateur note : « comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles ».
Ce texte magnifique me sert à reposer, une fois encore et dans la lignée de Poétiques de la voix, la vieille et lancinante question : Qu'est-ce que la littérature ? Moins pour y répondre que pour faire résonner ce chaudron fêlé. Pour y faire entendre, dans une série d'écarts, l'écho d'un presque rien qui unit et sépare la « parole humaine » et ce que la littérature en fait. Une imperceptible fêlure décolle le discours de lui-même, fabrique un texte où le vide ne se comble jamais. Là où la métaphore défaille, cette fêlure produit le désir d'une métonymie dont le mouvement doit pourtant rester suspendu.
À partir de Flaubert, c'est la dynamique de ces écarts que j'invite à suivre, dessinant ainsi un pan qui me paraît primordial de la littérature française d'aujourd'hui, à la recherche d'un romanesque d'un nouveau genre, un romanesque sans roman. Avec le Flaubert d'Un coeur simple, c'est au presque rien d'une vie médiocre qu'il revient de clore ce livre. Le chaudron (de la parole, de la littérature) est imparfait, mais il demeure l'instrument pour commuer le vide en paradoxale plénitude. Il désigne toujours ce qui nous donne envie, sous les étoiles, de danser.
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