Quiconque éprouve un chagrin d'amour court le risque d'être anéanti ; et, s'il est anéanti, c'est que sa vie l'était déjà en partie. Il cherchera peut-être à revivre indéfiniment, à la manière des troubadours, cette émotion excessive qui ressemble si étrangement au deuil.
Entre l'autobiographie et la biographie, évoquant les plaisirs et les chagrins, Frédéric Pajak se souvient de Guillaume Apollinaire, le « mal-aimé », et des lettres qu'il écrivit chaque jour sur le front de la Grande Guerre. Les unes furent adressées à Lou, qui ne l'aimait pas, les autres à Madeleine, qui l'aimait d'un coeur tendre. Apollinaire les aima toutes les deux, lui qui, du fond de la tranchée où il était engagé volontaire, tenait tous les rôles : soupirant éconduit, séducteur, anarchiste apatride et patriote, poète érudit, poilu grivois.
La guerre était d'abord à ses yeux un gigantesque drame érotique, un drame où la sensualité se montrait aussi fiévreuse qu'elle était impossible à vivre. Sur le front, il allait exacerber les sentiments violemment contradictoires qui furent les siens, et avant tout le chagrin d'amour, auquel il prête son lyrisme, sa mélancolie et sa démesure.
Dans les pages de ce livre paru il y a vingt-cinq ans et qui était devenu introuvable, on rencontre aussi Emily Dickinson, Catherine II, Stendhal, Franz Kafka, Pablo Picasso, Marcel Duchamp, Francis Picabia, Piet Mondrian, Thelonious Monk et tant d'autres, actrices et acteurs d'un mélodrame où le texte donne la réplique à près de trois cents dessins.
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