S'il y en a qui ne mâchent pas leurs mots, Frank Smith, lui, est plutôt du genre à bien les mâcher. La langue poétique est pour lui le contraire du langage de la vie courante, dans ce monde du prêt-à-parler, où les mots communiquent un message dans un réseau de significations fixées d'avance, où les réponses succèdent aux questions, les certitudes aux certitudes. Il ne s'agit pas de rompre avec les mots du monde, mais de se saisir du langage de tous les jours pour le restituer autrement, de composer avec lui : s'en accommoder et lui donner une autre forme.
La langue est ressassée, remâchée, mais toujours insensiblement déplacée, translatée, donnant naissance à un rythme original.
Etre poète c'est, en un sens, parler une « langue étrangère », devenir étranger à sa propre langue - proférer une langue qu'on se contente généralement de parler, et dans cette profération, faire sonner l'étranger, l'étrange.
Dans ce ressassement, se catapultent expressions courantes, voire familières, syntaxe volontairement relâchée, bribes de chansons, style oral, mots anglais, scansion revendicative qui n'est pas sans évoquer le rap, et enfin, intriquées dans ce tissu, des citations non démarquées, d'écrivains et de philosophes.
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