De la fin de l'Antiquité, aux IVe et Ve siècles, jusqu'au moment
où l'art de l'Europe tout entière bascule
dans la Renaissance, au début du XVIe siècle, le Moyen Âge
ne cesse de jeter un regard émerveillé sur la vie animale.
Pendant plus de mille ans, les manuscrits lui font une large
place dans le décor peint sur les pages de parchemin.
Parce qu'ils sont protégés, sous d'épaisses reliures,
dans les rayonnages des bibliothèques, les livres n'ont que peu
subi les injures du temps, et se retrouver devant ces enluminures
offre à chaque fois l'expérience renouvelée du face-à-face
avec la magie des couleurs. La large enquête menée
pour cet ouvrage a permis, à côté d'oeuvres essentielles
et incontournables, de réunir un grand nombre de créations
très peu connues, et pour certaines inédites. En plus de six
cents reproductions, c'est un vaste panorama de la présence
animale dans le livre médiéval qui est proposé, à la fois
dans le déroulement des siècles et des styles, et dans les modalités
les plus diverses du regard que l'homme a pu porter
sur cette partie fondamentale de la Création.
L'animal apparaît, dans ces oeuvres, comme un compagnon.
Des pratiques agricoles et de l'élevage à la chasse, le rapport est
celui d'une proximité chaleureuse, d'un partage des mêmes lieux,
d'une connivence, et dans le déroulement même du calendrier,
c'est par des formes animales que sont exprimés les principaux
signes du zodiaque ou les travaux des mois. Ce compagnonnage
s'étend jusqu'à des espèces rares ou lointaines, des ours
et des lions présents dans les ménageries, aux guépards
apprivoisés des manuscrits des Visconti ou du duc de Berry,
et à l'éléphant offert par Louis IX au roi Henri III d'Angleterre.
L'animal est aussi un marqueur de frontière. Les bêtes étranges
servent à définir des territoires merveilleux, le plus souvent
dans des régions peu explorées, et qui fascinent. Les Pygmées
nous sont montrés, dans une province de l'Inde, chevauchant
des moutons, et combattant ainsi les grues et les cigognes.
Mais les terreurs les plus grandes sont liées aux cas hybrides,
lorsque le danger prend la forme d'une créature dont
on ne sait plus si elle relève de l'animal ou du genre humain,
ce qui remet en cause la stabilité de la Création, ainsi pour
le couple de loups-garous longuement rencontrés par le prêtre
Giraud au fond d'une forêt de l'Irlande.
La métamorphose comme l'hybride ne peuvent être acceptés
que comme la conséquence du pouvoir de Dieu, et même
ces déviances sont inscrites dans un vaste plan du Salut.
Dans les images de la Genèse, Adam donne leur nom
aux animaux, et Noé sauve toutes les espèces par leur présence
dans l'arche au moment du Déluge. Plus tard, au moment
de la Fuite en Égypte, l'Enfant Jésus est escorté par les lions
et les léopards qui lui font révérence, et de Jérôme à François
d'Assise, les plus grands saints ont le pouvoir de parler
aux animaux et de s'en faire des amis fidèles.
Dans ce va-et-vient entre l'observation vraie et le mythe,
la réalité devient le support d'une lecture symbolique,
mais qui ne porte jamais une signification unique et définitive.
Le sens de chaque animal peut varier selon les contextes,
et ces images sont ici insérées dans le milieu précis qui permet
de les comprendre. Les enluminures réunies dans ces pages
peuvent en effet être au service du symbolisme religieux,
de l'allégorie politique, de l'humour de la fable. Mais
de l'abstraction de l'art préroman au naturalisme sensible
du gothique tardif, ces peintures sont d'abord le fruit d'un regard
vivant, qui se déploie dans un vaste théâtre du monde
où l'animal est le miroir de l'homme, de ses bonheurs comme
de ses tribulations, de son quotidien comme de ses rêves.
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