L'achevé d'imprimer de L'Arrosoir rouge est du 24 février 1955 ; Monique
Saint-Hélier est morte deux semaines plus tard à Chambines, dans
l'Eure. Ainsi, ce roman qui aurait dû n'être qu'un moment de la Chronique des Alérac et des Balagny est devenu le dernier texte publié par la romancière ; pour les lecteurs, c'est ici que s'achève, ou s'interrompt, l'entreprise
de Monique Saint-Hélier.
L'épigraphe empruntée à Suréna de Corneille (Toujours aimer, toujours souffrir,
toujours mourir) semble annoncer un récit pathétique. Cependant, Monique
Saint-Hélier avait conçu d'emblée ce volet de sa chronique comme une
« plage », un intermède paisible dans l'histoire de tant de coeurs déchirés ou
incertains (Carolle Alérac, Catherine, Jérôme Balagny, Jonathan Graew,
Lopez) que nous offrent Bois Mort, Le Cavalier de paille, Le Martin-pêcheur. Et
c'est bien l'apaisement, une espèce de lumière heureuse qui dominent dans
L'Arrosoir rouge.
Cette paix, c'est celle de l'accompli. Contrairement aux trois premiers romans
de la Chronique qui mêlent à la remémoration le souci et l'appréhension de
l'avenir, L'Arrosoir rouge est uniquement le livre du passé revécu. Le temps a
fait son oeuvre ; les douleurs et les deuils ont perdu leur âpreté ; s'il n'y a pas
d'amour heureux, les morts sont toujours vivants dans les coeurs, et les souvenirs sont « les jardiniers de l'ombre » qui « préparent à notre insu des corbeilles
étincelantes ».
L'Arrosoir rouge, c'est l'apparition de Revenant, l'Espagnol qui fut l'amant
d'Alexandrine Alérac morte en couches. C'est Mlle Huguenin revivant au
cimetière, parmi les tombes des Alérac, sa passion juvénile pour Jonathan
Graew. C'est surtout le passé d'Abel. Le lecteur découvrira ici le petit berger
qui dénonçait à coups de cantiques les péchés des Alérac et dont la vie a fait
plus tard un colporteur vendeur de Bibles. Il apprendra comment un martin-pêcheur a sauvé Abel du suicide avant de destiner mystérieusement l'un à l'autre Abel et Catherine, et de désigner à cet homme sans enfant la fillette qu'il
va adopter.
Abel est une des plus belles figures de l'univers de Monique Saint-Hélier et le
véritable héros de L'Arrosoir rouge. En lui s'incarnent admirablement les valeurs que le monde de la romancière oppose à la douleur de vivre, aux déceptions et aux frustrations dont l'existence est prodigue : la foi, la fidélité et
surtout l'épanouissement dans la tendresse que la paternité, même adoptive,
peut faire découvrir à un homme disgracié et démuni.
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