L'examen du développement de l'anthropologie soviétique met en lumière le rôle des contraintes dans l'avènement d'une discipline. La pression politique et policière - les déportations, voire les exécutions toujours possibles - ne constitue qu'un des éléments du processus. La concurrence des autres disciplines, les enjeux de pouvoir dans les institutions académiques, les contraintes scientifiques, les relations avec l'étranger représentent, parmi d'autres, des déterminations qui parfois peuvent jouer un rôle essentiel.
A la seule explication politique et policière, Frédéric Bertrand oppose l'examen méticuleux des textes russes, l'analyse minutieuse des contextes académiques et des entretiens approfondis avec les témoins. Il propose ainsi une description précise d'un monde méconnu dont le rôle fut pourtant essentiel dans la formation de nos propres sciences sociales au XXe siècle. N'oublions pas que c'est Jakobson qui a fondé le structuralisme, Bakhtine le dialogisme, Tolstoï la critique des sources orales et que ce dernier a inventé le texte libre dans les écoles, technique reprise en France par Freinet. Pourquoi aller chercher en Russie les procédures pour fonder nos propres sciences sociales ? Cet ouvrage nous donne quelques éléments de cette situation en nous présentant le cheminement des recherches anthropologiques dans l'Union soviétique des années 20-30.
Préfacée par Bruce Grant, le spécialiste américain de ces questions, cette analyse anthropologique d'une anthropologie s'inscrit dans le cadre des enquêtes actuelles sur la généalogie des sciences et sur la légitimation de leurs approches.
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