D'abord ce texte pour la beauté de sa prose.
Beauté violente. Et tout ce qu'on y reconnaît du monde, le nôtre : la nuit sauvage des villes, les gares quand on en a perdu le nom, les bords d'autoroute et ces discussions face à face quand le lendemain les yeux qu'on revoit n'ont plus de nom ni de visage.
J'ai souvent pensé au début du Bruit et la fureur, de Faulkner : Benjy voit et pense dans un temps simultané, juxtaposé, où tout se chavauche. Et qui pour ne pas savoir, même s'il faut s'en défendre pour que tienne la vie au quotidien, qu'il n'y a pas de vraie séparation entre le rêve et le réel ?
Et qu'en tout cas c'est ici qu'elle surgit, la littérature, quand elle se saisit à bras le corps des lois du rêve et les contraint à la discipline narrative – on est dans le réel, et pourtant pas. Tout est cohérent à échelle de la phrase qu'on lit, mais s'engouffre à nouveau dans le cauchemar dès qu'on tourne le virage paragraphe.
La littérature est hantée de ses fous. On peut les prendre rois, comme Lear, ou leur donner la simplicité de Wladimir et Estragon, dans En attendant Godot – les retours récurrents des personnages ici est la même.
Dans ce texte, les lois du rêve contraignent l'errance dans les villes, et le réel. On a échangé ses noms, on a enterré des souvenirs, on porte des amours impossibles, on croise des enterreurs de morts. C'est donc un fou qui voit, qui parle ? Ou bien, ces narrateurs, la prison et la violence, l'exil, les ont-ils condamnés à cette vision décalée, parce qu'eux voient juste, mais qu'ils ne comprennent pas ce qu'a fait d'eux le monde ?
Alors qu'on le lise dans l'abandon, ce magnifique texte lyrique de Marie Cosnay. Qu'on le lise pour toutes ce shistoires qui s'enchevêtrent, où on reconnaîtra vite les pistes. Laissons venir à nous la puissance de ces paysages à peine brossés, sitôt remplacés, tout est mobile, comme dans le rêve.
Mais penser aussi au titre d'un de ses précédents livres, Déplacements : On a repris les grandes figures, de l'errance, de la violence imposée et subie, du rêve et de la folie, ça c'est le point fixe de la littérature. Mais voyez ce qui se recompose du monde autour de ce point fixe : ces errants dans les trains, ou au fond des villes, ces brûlés dedans qui passent toutes les frontières parce qu'ils ne connaissent plus les leurs, on sait leur existence.
Alors le monde qui nous entoure, celui de l'exclusion, celui des trafics, de l'argent et de la violence, se réorganise en lent décor derrière. Il y a les mules...
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