Depuis trente ans, chaque fois qu'une page importante de ma vie a été tournée, je l'ai écrite. Ces textes, je les ai appelés romans, et ces romans, autofiction. Le terme a eu des échos.
A l'inverse de l'autobiographie, explicative et unifiante, qui veut ressaisir et dérouler les fils d'un destin, l'autofiction ne perçoit pas la vie comme un tout. Elle n'a affaire qu'à des fragments disjoints, des morceaux d'existence brisés, un sujet morcelé qui ne coïncide pas avec lui-même.
Mes autres livres (mes autres vies), malgré cette dispesion, racontaient un moment de mon histoire, centrée sur une figure de Femme... ma mère et la suite depuis. "Je tue une femme par livre", ai-je un jour cruellement écrit. C'est à présent mon tour : celui qu'il faut que je tue, c'est moi.
Les autres phases de ma vie, quelles qu'aient été joies et souffrances traversées, gardaient un avenir ouvert. Ici, le narrateur, vieilli, adossé à sa propre fin qui approche, n'a pour futur que son passé : il est devenu un "laissé pour conte". A défaut d'amours ou d'aventures nouvelles, il drague ses souvenirs. Ils affleurent, affluent, désirs, attentes, remontant de strates diverses, d'époques distantes, de lieux épars, de l'Ancien et du Nouveau Monde de 1934 à 1997.
Ces histoires font-elles une histoire ?
Cette vie qui fut mienne, a-t-elle un sens ?
S.D.
Serge Doubrovsky professe à l'université de New York et, quand il habite en France, à l'antenne parisienne de cette même université. Il a publié, chez Grasset, le Livre brisé, prix Médicis, et l'Après-vivre.
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