On s'accorde généralement à voir en Jacques Rivière (1886-1925) un « passeur » capital. On connaît son oeuvre critique (Études, 1911 ) et son rôle aux éditions Gallimard, directeur de La Nouvelle
Revue française de 1919 à sa mort : il admire Proust, il soutient Artaud, il ferraille avec ce qui devient sous ses assauts la vieille garde... En revanche on ne lit plus guère ses romans (Aimée, 1922) - et l'on a tout à fait oublié le philosophe.
Il faut dire qu'il y a mis du sien. Brillant étudiant de philosophie dans la Sorbonne d'avant guerre, il échoue à l'agrégation et renonce à la discipline. C'est qu'il est déjà bien davantage attiré par la littérature, correspondant précoce de Paul Claudel, puis d'André Gide, frère spirituel d'Alain-Fournier (l'auteur bientôt du Grand Meaulnes) dont il épouse la soeur Isabelle.
Reste néanmoins un petit ouvrage, mémoire d'université soutenu en juin 1908 (Rivière n'avait pas 22 ans), dont l'intitulé technique dissimule une question vive : quel lien entre une approche rationnelle du divin (la « théodicée ») et une approche mystique, expérimentale (le « quiétisme ») ?
Question d'époque dans un contexte de conflit aigu entre science et religion ; question personnelle aussi pour ce jeune homme en dispute avec le catholicisme de son milieu et qui résiste au « missionnaire » Claudel, auquel il ne craint pas d'expliquer que le « christianisme théologique » est un panthéisme qui s'ignore. Exercice spéculatif enfin, qui marque les débuts d'une forme de critique par empathie - Rivière s'attachant, selon ses mots, aux « contradictions » de Fénelon (1651-1715), « un esprit trop riche pour n'avoir jamais qu'une conviction ».
Mais il ne s'agit pas seulement d'un document sur le jeune Rivière : la publication du mémoire par les Annales de philosophie chrétienne (bientôt condamnées par l'Église romaine pour « modernisme »), de novembre 1908 à mars 1909, fait signe dans les débats du temps et l'inscrit dans la longue durée de la réception de l'un des grands écrivains classiques, l'auteur des Aventures de Télémaque (1699).
Donner à lire La Théodicée de Fénelon. Ses éléments quiétistes, c'est donc l'insérer dans un double récit ; et tenter de comprendre un paradoxe : qu'elle ait fait date chez les lecteurs de Fénelon, quand ceux de Rivière, et Rivière lui-même, l'ont occultée. D'où l'importante étude : Fénelon 1908. Jacques Rivière philosophe qui accompagne notre édition - la première depuis sa parution en revue.
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