" Camille s'agenouilla près du corps de Jeanne. Ses doigts se posèrent sur la cheville glacée. Il ferma les yeux.
C'était il y a longtemps. Un jour d'été.
Ils ruisselaient, l'un et l'autre, d'eau et de soleil. Ils avaient treize ans. Peut-être quatorze. Dans une anse sableuse de la Dordogne, ils s'étaient baignés toute l'après-midi. L'eau était chaude et coulait sur les graviers dorés. Parfois, l'ombre d'un poisson filait dans le cristal du courant. Le temps n'existait plus. Il n'y avait ni passé ni lendemain. Que l'instant présent, d'une densité écrasante. La joie qui l'avait essoufflé faisait encore aller et venir sa poitrine maigre. Battre son coeur sous ses côtes. Le pied de Jeanne était venu se poser comme un oiseau au creux de sa main. La peau était fine, douce. Lisse. Le talon s'emboîtait parfaitement à sa paume.
Penché sur Jeanne, il ne vit pas que les autres faisaient cercle dans son dos. À un moment, il se retourna et les découvrit. Mais son visage n'était plus le même et tous reculèrent. Soucieux de ne pas approcher de trop près un si grand chagrin. "
À l'âge du premier grand amour, Camille a laissé sa famille le séparer de Jeanne. Toutes ces années, fidèle à leur promesse, elle l'a attendu. Il n'est pas venu. Quand elle meurt, on l'accuse de s'être défenestrée. Et, en ce temps où il n'est pire crime que se suicider, c'est Camille que désigne la justice pour incarner dans son procès le " corps et la voix " de Jeanne...
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