Quand La Négresse du Sacré-Coeur a paru, en 1920, aux
Éditions Gallimard, le public y a vu un roman montmartrois
où se croisent des personnages venus de la pègre, du
petit peuple de la Butte et des ateliers d'artistes. Tout ce joli
monde entoure Cora, la belle mulâtresse, promue esclave-maîtresse
de Médéric Bouthor, le planteur de Montmartre,
collectionneur d'idoles zapotèques, qui se vante de faire
pousser des aloès, des lataniers et des baobabs sur un terrain
pelé du maquis et de récolter le caoutchouc, le poivre et la
canne à sucre. Dans ce livre qui tient à la fois du récit-promenade,
de l'album d'images et du kaléidoscope, l'intrigue
se noue lorsque le beau Mumu, jeune marlou favori de ces
dames, devient l'enjeu d'un drame passionnel. Étrange intrigue,
qui se dénoue en trois temps : mort d'une gamine de
treize ans, Léontine, qui se serait jetée dans une carrière du
haut de la rue Berthe, meurtre de Mumu, saigné d'un coup
de couteau par un tueur à gages anonyme, émancipation de
la négresse par le planteur, au terme d'une cérémonie parodique
d'abolition de l'esclavage...
Aujourd'hui, La Négresse du Sacré-Coeur est un roman à
clé. Salmon lui-même n'a pas caché qu'il jouait à la fois le
rôle du narrateur dans un récit écrit à la première personne,
achevé après la guerre de 1914, et celui du jeune poète, Florimond
Daubelle, personnage dans une fiction datée de 1907,
ami de Sorgue (Picasso), de Septime Febur (Max Jacob) et
d'O'Brien (Pierre Mac Orlan). Il s'en est expliqué plusieurs
fois, en particulier dans ses Souvenirs sans fin, et dans un
long texte inédit, «Véritable clé d'un domaine imaginaire»,
qu'on trouvera ici.
J. G.
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