Pour devenir capitale industrielle de l'Europe continentale, Paris développe
entre 1780 et 1830 deux révolutions techniques. La première, biochimique, se
déploie grâce à l'humidité ambiante et à la fermentation des matières organiques
qui imbibent le sous-sol et la nappe phréatique : la capitale est la principale
productrice de salpêtre et assure ainsi près du tiers des besoins en poudre.
Peaux, graisses, os, sang, grains, chiffons, poils, verre, ferraille, cendres,
ces matières brutes sont collectées, triées et transformées en atelier pour
devenir des matières premières de haute valeur travaillées par le corroyeur,
le hongroyeur, le chandelier, l'amidonnier ou le boyaudier, le fondeur, l'étameur,
le plombier.
Parallèlement à cette révolution artisanale qui tire parti d'un milieu particulièrement
riche, une révolution chimique s'enclenche à l'initiative de l'État et
des scientifiques qui s'impliquent pour rendre le royaume, la république,
l'empire, moins dépendants des importations de soude, d'acide, de céruse, de
cuivre, de fonte, d'or. Les manufactures - start-up dirions-nous aujourd'hui -
prolifèrent dans les proches faubourgs, Grenelle, Vaugirard, La Gare, et aux
portes, Saint-Martin, Saint-Denis, Temple, Saint-Antoine, engendrant de nouveaux
métiers - blanchisseurs, cérusiers, raffineurs, laveurs de cendres - et
de nouveaux produits - colle forte, bleu de Prusse, noir animal, platine, zinc,
eau de Javel, soude - qui font du département de la Seine la première technopole.
Enfin, dans les années 1820, la mécanique se déploie, comme en
Grande-Bretagne.
L'atmosphère séquanaise évolue dangereusement. La nappe souterraine est
très saline. L'air devient nauséeux. Aux pollutions organiques dégagées par
l'artisanat et la putréfaction de matières résiduaires - boues, eaux usées -
s'ajoutent les pollutions minérales provenant de l'industrie consommatrice de
houille, de la métallurgie et de l'orfèvrerie qui diluent des vapeurs chargées
de métaux, de la chapellerie qui exhale du mercure. Les hôpitaux sont débordés
; les citadins rentiers se plaignent ; des épidémies couvent, malgré les
mesures prises par la préfecture de Police pour enrayer les maux du progrès.
Ambiance noire que quelques lumières éclairent avec peine.
Cette histoire saisit l'ambiance ouvrière des arts industriels, elle décape une
époque et une économie qu'on croyait bien connaître. C'est une histoire des
techniques dans leur milieu.
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