Qu'elle l'admire comme ordre, harmonie, privilégiant en elle tout ce qui peut être «théorisé», objet d'une mathêsis, ou qu'elle la regarde avec suspicion, la soupçonnant d'introduire le trouble dans les âmes et dans la cité, le plus souvent, la philosophie a tenté de tenir la musique en respect, de la maintenir à distance. Et lorsqu'elle a tenté de s'en approcher, ce fut, le plus souvent, de façon pauvre et malaisée.
Mais le philosophe écoute-t-il ? Pour lui, écouter revient toujours à voir, l'idée, le sens. Or la musique semble se dérober au «regard théorique» comme à la «prise du concept». Elle ne donne rien à voir, ne dit rien, ne se laisse pas immobiliser dans une représentation. Elle ne se laisse pas constituer en ob-jet. Elle est pour la philosophie comme un obstacle secret, nocturne, qui se soustrait à son déploiement dans la lumière (son élément même depuis Platon). Même Hegel, que rien ne semblerait pouvoir arrêter dans sa marche vers une totalisation du savoir, laisse paraître un embarras certain lorsque, dans l'Esthétique, il doit traiter de la musique, à l'intérieur du Système des arts.
La musique serait-elle la nuit du philosophe ?
La musique est «art de la nuit», dit Nietzsche. Penseur de l'écoute, il va jusqu'à en faire le modèle même de la pensée. Le penseur devrait penser «comme on écoute un morceau de musique». Mais n'est-ce pas au risque de perdre ce qui assure et rassure la philosophie contre le péril de la folie ?
Insaisissable, la musique ne nous laisse saisir que des ombres. Ombres portées..., tel sera le titre du volume suivant.
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