Souvent présenté comme un simple instrument technique facilitant la libre circulation des individus à l'intérieur de l'espace Schengen, le visa est en fait un moyen de discriminer entre les ressortissants de certains pays non soumis à visa, et ceux obligés de faire la preuve au consulat qu'ils ne sont pas indésirables. La police des étrangers se fait dès lors de moins en moins aux frontières, par des policiers, et de plus en plus en amont, à distance, dans les pays d'origine par des agents consulaires et des attachés de sécurité intérieure.
La collaboration européenne était censée harmoniser les modalités d'attribution des visas. Mais la non superposition des espaces Schengen et de l'Union, les luttes de pouvoir entre les Etats et la Commission européenne, les différentes interprétations juridiques font que la quête d'unité et d'une délimitation claire entre l'interne et l'externe pour une gestion efficace des migrations s'inverse. Le résultat en est un dispositif hétérogène, variant localement au gré d'une collaboration consulaire locale par laquelle s'établissent des échanges d'informations sur les individus dans un flou juridique étonnant et sans protection des libertés des individus demandeurs de visa.
L'étude serrée des instructions consulaires et des pratiques de certains consulats montre des résultats contradictoires, oscillant entre une grande liberté de circulation et des situations kafkaïennes génératrices d'arbitraire et renforçant les frustrations de tous ceux qui sont privés de voyager au prétexte qu'ils sont pauvres ou qu'ils appartiennent à des groupes dont on se méfie au nom du terrorisme ou du risque migratoire. En dessinant une carte des visas - ce qui a jusqu'alors soigneusement été évité - apparaît clairement une nouvelle bipolarité entre riches et indésirables. L'analyse des méfiances réciproques entre Etats européens, qui n'arrivent pas à s'entendre pour gérer ce qui leur fait peur, montre par ailleurs comment, parmi ces indésirables sont définis des ennemis non désignés. Ce ne sont plus seulement des Etats, mais des individus ou des minorités suspectes.
Dès lors, la course à la technologie, aux procédures d'identification est-elle la solution au flou et à l'arbitraire des catégories construites comme dangereuses? Les auteurs du numéro ne le pensent pas. Ils insistent sur les droits des individus, présentent des témoignages, analysent la politique et le droit européen avec rigueur et décryptent une stratégie à l'égard des étrangers qui se masque derrière la technicité et l'européanisation pour se déployer sans attirer l'attention.
Ce numéro en deux volumes a été conçu de manière à constituer un instrument de travail. L'étude présentée dans ce premier volume, articulée autour de la notion de police à distance, comporte deux annexes: une bibliographie générale et la carte du visa Schengen publiée pour la première fois.
Le deuxième volume présente les contributions d'Elena Jileva ("La mise en oeuvre de Schengen: la délivrance des visas en Bulgarie"), de Virginie Guiraudon, ("Garanties financières exigées pour les demandeurs indiens de visas de court séjour: quelques exemples européens"), Claire Saas ("Les refus de délivrance de visas fondés sur une inscription au Système Information Schengen"), Gérard Beaudu ("La politique européenne des visas de court séjour"). En annexe de ce second volume figurent les principaux documents officiels relatifs au visa Schengen ainsi que des entretiens conduits auprès d'individus s'ayant vu refuser le visa.
We publiceren alleen reviews die voldoen aan de voorwaarden voor reviews. Bekijk onze voorwaarden voor reviews.