Outreau a ce pouvoir des histoires simples et qui font peur: chacun s'y retrouve et chacun s'y perd.
Ce livre était presque achevé lorsqu'il m'est arrivé, à moi aussi, une histoire. Je suis partie en Irak le 15 décembre 2004. Je devais y rester un mois et terminer la rédaction à mon retour, pour le procès en appel prévu en mai 2005 aux assises de Paris.
J'ai été enlevée le 5 janvier à l'université de Bagdad. En captivité, là-bas, je ne pensais pas que je finirais le livre. Non pas qu'il ne m'intéressait plus, mais j'étais persuadée que je ne serais jamais rentrée en France au moment où les Assises auraient lieu. Après, le rideau retomberait sur Outreau, plus personne ne voudrait en entendre parler.
Quand on est enfermé, un rien peut vous briser. Je ne voulais plus penser à cette affaire à laquelle il me fallait désormais renoncer. Pendant ces mois-là, je me suis donc efforcée de ne plus jamais avoir Outreau en tête. C'était une entreprise délibérée. J'effaçais chaque visage, chaque souvenir, chaque mot dès que, par hasard, l'un d'eux m'apparaissait.
Je suis rentrée le 12 juin 2005. Les Assises avaient été reportées, le manuscrit interrompu était dans mon ordinateur et moi, j'avais réussi ce que je voulais: j'avais tout oublié d'Outreau.
J'ai été surprise en relisant ce que j'avais écrit. Comment un accusé avoue ce qu'il n'a pas commis ou pourquoi un magistrat acte des déclarations si farfelues qu'elles feraient rire les enfants, ces choses qui me semblaient comphérensibles mais obscures, ces ténèbres-là m'étaient devenues étrangement familières.
J'ai recommencé le livre.
Florence Aubenas
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