« La science ne pense pas » disent les uns, qui répètent sentencieusement les paroles inspirées du Maître. « Les questions métaphysiques sont dénuées de sens », répondent les autres. Guerre absurde que reproduit notre système d'enseignement, qui voue la philosophie aux séries littéraires et réduit à la portion congrue la réflexion critique proposée aux scientifiques.
La philosophie n'existerait pas si elle n'avait dès l'origine fait couple avec l'interrogation scientifique du réel ; elle ne saurait, sous peine de virer au pur « supplément d'âme » à destination des autruches qui ignorent tout ce qui se découvre et de la manière dont on le découvre, délaisser par exemple les questions fondamentales soulevées par la physique quantique ou les théories de l'hérédité.
Il s'agit de bien plus que d'intégrer ou de réintégrer à la philosophie l'élucidation des énoncés de la science : il y va de l'accomplissement même du programme de pensée ouvert depuis la Grèce antique. Point d'avenir sans reprise du dialogue de la philosophie et des sciences, et sans redécouverte de la pertinence de la position matérialiste. Celle-ci s'enracine chez Démocrite, n'a cessé depuis de constituer aussi, par-delà ses manifestations propres, le contrepoint critique et l'aboutissement sensé des efforts idéalistes pour penser le monde, et représente désormais la seule option ouverte à une pensée effective.
Denis Collin, né en 1952, est professeur agrégé de philosophie et docteur de l'Université. Enseignant en lycée, il est aussi chargé de cours à l'Université de Rouen. Il a publié plusieurs ouvrages et essais en philosophie politique et morale - dont Questions de morale (Armand Colin, 2003).
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