C’est à Venise que j’ai décidé toute ma vie" écrit Barrés en préfaçant sa trilogie du Culte du Moi, en 1892. Et Venise représente en effet le lieu fondateur de son expérience d’écrivain. D’abord ville de l’individualisme triomphant, de la réclusion orgueilleuse et de l’édification de soi, Venise devient progressivement la ville des miasmes, du pourrissement et de la volupté morbide. Cette métamorphose de la figure de la ville, corollaire de l’enracinement lorrain de Barrès, permet de rendre compte de l’évolution profonde de l’œuvre mais en même temps de sa cohérence. Mélange de fascination et de répulsion, de désir et de rejet, le rapport de Barrès à Venise révèle celui qu’il entretient avec l’écriture. Le livre étudie les diverses figurations de Venise dans l’œuvre de Barrès - Venise égotiste d’Un Homme libre (1889), Venise utopique de L’Ennemi des lois (1892) et romanesque de L’Appel au soldat (1900), Venise poétique d’Amori et Dolori sacrum (1903) - et montre comment chacune engage une réflexion sur l’acte même d’écrire. À celui qui vit dans le désir et le souci d’être soi, Venise fait entendre le chant mêlé de la liberté, de la puissance et de la vanité. C’est pourquoi la légende de Venise composée par Barrès parle de la solitude, de la communauté idéale et peut-être introuvable, du triomphe et de la mort. Elle parle d’enchantement et de peur, d’enthousiasme et de doute de l’écriture comme tentation et de la tentation comme accomplissement.
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