Ce qui a été n'est plus possible. Ce qui a disparu existe peut-être encore. Mais rien ne
nous est plus accordé.
Dans des temps plus anciens, l'existence pouvait se soutenir, par la croyance et la
prière, par la simple attente ou par la présence du mystère, d'un espoir en une grâce.
Celle-ci pouvait être concédée, malgré l'ignorance dans laquelle on se trouvait de la
décision divine et de son libre vouloir, ou méritée par le travail de la vertu. Rien de
tout cela, de cette sanction de l'existence, de son évaluation propre, ne constitue plus
le plan ou la perspective par rapport auxquels les hommes perçoivent le sens de leur
vie.
Ce n'est pas qu'il n'y ait plus «la grâce», nous n'en savons strictement rien, c'est
que l'idée elle-même s'est évanouie au pire dans la superstition, au mieux dans ce qui
reste, chez certains, de croyance. Les créatures et le monde se sont désormais repliés
sur eux-mêmes, ils ne sont plus portés, ou enveloppés dans un orbe qui en définitive
sublimerait ce monde déchu.
La grâce, en somme, est désormais désaccordée. Il reste à savoir si elle est capable
d'infléchir son sens originellement théologique, et si, devenue au mieux douloureusement
profane, elle possède une chance de nous délivrer envers et contre tout un
bonheur, celui vers lequel tend l'oeuvre paradoxale de Kleist, et une «vraie vie»
comme l'a désiré Proust.
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