La force d'une idée
Tel un phénix, l'idée de justice sociale ressurgit aujourd'hui de ses cendres. Dénoncée comme un « mirage » par les théoriciens du néolibéralisme, elle a disparu de l'agenda politique des gouvernements. Depuis la conversion des régimes communistes à l'économie de marché, tous les pays du monde sont engagés de gré ou de force dans une course au moins-disant social et fiscal, qui offre pour seule perspective à leurs peuples de « nager ou couler » dans une lutte de tous contre tous à l'échelle du globe. Ce race to the bottom a engendré un creusement vertigineux des inégalités, qui nourrit en retour un puissant sentiment d'injustice, ainsi que l'émigration massive de jeunes, privés de travail décent dans leur propre pays. Cette rage sourde contre l'injustice est aujourd'hui captée par des démagogues, qui la détournent vers des ennemis intérieurs ou extérieurs, sans remettre en cause les vertus supposées de l'ordre spontané du marché.
Se vérifie ainsi une fois de plus le bien-fondé des déclarations solennelles qui, tirant les leçons de la Première, puis de la Seconde Guerre mondiale, avaient affirmé « qu'une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale ». Fruit de l'expérience des massacres insensés du XXe siècle, ces déclarations internationales ont consacré juridiquement une « idée de justice sociale », dont Alfred Fouillée avait donné en 1899 la première formulation solide et argumentée. Invitant à la relecture de ce texte séminal, Alain Supiot retrace les avatars de cette idée et en montre la force inentamée.
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