Les démocraties occidentales traversent une grave crise de légitimité. La montée des inégalités comme celle des idéologies identitaires menacent aussi bien nos institutions que les valeurs qu'elles incarnent. Si l'ampleur de ces évolutions continue de surprendre ceux qui, après la chute du communisme en 1989, croyaient à une « fin de l'histoire » et au triomphe définitif d'une « révolution libérale » dans un monde globalisé, la crise était, à bien des égards, prévisible.
Face à cette évolution inquiétante, quels recours avons-nous ? Publiée en 1971, la Théorie de la justice de John Rawls (1921-2002) a révolutionné la pensée politique et économique avec sa conception anti-utilitariste de la justice comme équité. Pour Rawls, l'égalité et la liberté, loin de s'opposer comme le soutiennent bon nombre de libéraux comme de socialistes, sont compatibles à condition qu'elles oeuvrent pour les plus défavorisés (le « principe de différence »). On a souvent interprété cette approche comme un pur produit, aujourd'hui dépassé, des valeurs et des espoirs des Trente Glorieuses.
La thèse ici présentée est tout autre. Plus que le contenu de la théorie, elle interroge l'actualité et la radicalité politiques de la démarche de Rawls - Habermas parle à ce sujet d'une « braise radicale-démocratique » - et la relation constitutive entre raison et démocratie qui la sous-tend.
Fidèle à l'inspiration de Rousseau et de Kant, Rawls nous invite à comprendre les principes fondateurs de la démocratie comme l'oeuvre des citoyens eux-mêmes et de leur raison. Bien loin d'être historiquement contingents et arbitraires, ces principes et les raisons d'y adhérer peuvent être réappropriés par chacun et justifiés comme les conditions de toute coopération humaine, même dans un contexte pluraliste. Cet empowerment est constitutif de la citoyenneté et impose une critique vigilante des institutions comme des pouvoirs politiques.
Oser cet appel à « la raison humaine libre » (Kant) pour défendre la démocratie et les principes de justice, d'égalité et de liberté contre leurs ennemis était un geste « philosophiquement raisonnable » en 1971. En ce début du XXIe siècle, ne serait-il pas devenu encore plus indispensable et « politiquement radical » ?
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