Le «retour aux classiques» des sciences humaines est à l'ordre du jour. La relecture des pères fondateurs semble être le meilleur antidote aux incertitudes théoriques et méthodologiques, ainsi qu'à la spécialisation et au morcellement excessifs des savoirs. Mais en se focalisant sur quelques textes consacrés, ce retour aux sources néglige souvent de replacer les œuvres dans leur contexte social, culturel et politique. En retraçant l'émergence de la sociologie dans l'université française pendant la période 1870-1914, Laurent Mucchielli nous offre un ouvrage de référence qui évite les écueils habituels du genre : la canonisation des «grands auteurs», qui surestime la paternité héroïque d'individus exceptionnels en oubliant le travail collectif des réseaux scientifiques ; le fétichisme épistémologique, qui découpe des contenus de pensée figés dans un tissu culturel et historique mouvant et complexe.
L'auteur montre comment la «découverte du social» s'inscrit dans le dépassement des modèles et des métaphores biologiques et raciaux jusqu'alors dominants. Il explore l'œuvre de ses principaux pionniers (Durkheim et son école, Tarde, Worms, etc.) et explique comment les idées de conscience collective irréductible à la somme des consciences individuelles, de déterminisme social, de généralisation de l'usage des statistiques, se sont diffusées à travers l'archipel des revues et des institutions savantes et ont transformé le regard sur l'homme. En retraçant l'apport de figures comme Bouglé, Halbwachs, Hubert, Lévy-Bruhl, Mauss, Meillet, Richard ou Simiand, il nous offre le portrait de toute une génération intellectuelle. En redécouvrant les débats de la sociologie avec l'ethnologie, la psychologie, la géographie, l'histoire, la linguistique, la criminologie et l'économie politique, il dévoile la richesse d'une conjoncture scientifique exceptionnelle.
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