La pensée n'est pas seulement discursive, malgré les apparences, ni seulement
programmatique. Elle est aussi digressive, vicinale. Digressive, c'est-à-dire
qu'étymologiquement parlant, elle s'écarte de son propre chemin. C'est sa
façon pour elle d'explorer l'inconnu.
Pourquoi suis-je ceci plutôt que cela ? se demandent Jean Duns Scot et
François Villon. C'est aussi la question que posent les enfants. Ils entrent
en croisade pour obtenir une réponse qui ne viendra jamais. C'est aussi la
question du processus d'individuation.
C'est un problème de fond : il faut distinguer les concepts de différence et
d'altérité et montrer que, bien qu'habituellement nous les confondions, ils
s'excluent. Dans la théologie scotiste, Dieu est la différence en soi, absolue,
infinie, originelle. Cette différence ne suppose donc aucune altérité puisque
ce Dieu ne saurait être autre que ce qu'il est. Mais dans la poésie, qui
accompagne et dédouble la théologie au fil du temps, il en va justement tout
autrement : l'altérité poétique, notamment chez Villon, exclut la différence
théologique scotiste.
Le processus d'individuation, à travers les aléas de la différence et de
l'altérité, a été médité au XIIIe siècle par un théologien et philosophe
écossais, Jean Duns Scot. Il a été mis à l'épreuve de la poésie par François
Villon deux siècles plus tard. Ainsi se brode, dans ses grandes lignes, notre
motif. Au centre de ce motif nous retrouvons très souvent la figure d'Aristote
et l'extraordinaire idée du syllogisme qui la hante.
De cette confrontation entre le théologien et le poète surgit la tension
productive entre deux visions du monde ; l'une théiste, l'autre athée, l'une
et l'autre sporadiquement entrelacées. Comme les deux visions se disent
d'une création ex nihilo, il était inévitable qu'elles fussent au nouage d'une
réflexion sur la complicité nihiliste entre la théologie et la poésie.
Depuis cette complicité, il nous reviendrait peut-être aujourd'hui, comme
épreuve cruciale, à penser un monde sans Dieu et sans la pseudo idée du Néant.
Derniers ouvrages parus : «Nerval ou la mort d'Andros», «Deleuze, Derrida, du
danger de penser», «Nietzsche, de l'humour à l'éternel retour», aux éditions
de La Différence. «Lucrèce, de l'altérité ou la mort immortelle», aux éditions
Clinamen, à Genève & «De la partialité - Traité sur la perception littéraire»,
aux éditions du Littéraire.
Accompagné d'un dessin original de Marc Ferroud.
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