« Au début des années 1980, à l’occasion des fêtes du mois de Shaban au cours desquelles guérisseurs, voyantes et voyants de la confrérie gnawa – on les appelle mokadma et mokaddem – de Marrakech renouvellent et parfument leurs autels dédiés aux génies et, lorsque c’est possible, leur garde-robe, j’avais rituellement offert au mokaddem Laïachi Hamshish une choukara, une de ces besaces brodées que quelques vieux Marocains portent encore sous leur djellaba. Je demandai à Laïachi de me céder son ancien sac en échange du nouveau, ce qui le fit bien rire. Il s’exécuta volontiers après avoir transféré dans la besace neuve son sepsi et sa blague à kif, quelques pièces de monnaie, deux cauris, une carte d’identité écornée et un paquet de cigarettes Casa Sport à moitié vide. Des années plus tard, au cours de la dernière lila où Laïachi officia dans les semaines précédant sa mort, il me contraignit à entrer dans la raba, l’espace consacré dédié à la montée et la descente des génies, et à danser toute la nuit. Un cadeau d’adieu, en quelque sorte. Depuis lors, j’ai vécu sur quatre continents et dans mon bocage natal mayennais quelques aventures marquantes liées à ce monde de forces. Autant de secrets parfumés que j’ai précautionneusement mussés dans la choukara de Laïachi jusqu’à aujourd’hui. » Jerzy Grotowski, la forêt polonaise, le chant du tambour, la danse avec les génies gnawa au Maroc, la forêt sacrée d’Oshogbo au Nigéria, les guérisseurs de la Mayenne : dans cette Conférence des sept parfums, Pierre Guicheney nous conte par fragments qui sont autant de découvertes une vie de voyage dans quelques régions invisibles du monde visible.
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