Au cours des vingt dernières années, le
monde du travail a changé de planète.
Flexibilité de la main-d'oeuvre, précarité
des contrats, exigence de qualité totale, déclin de
la notion objective de qualification au profit de la
«compétence» définie par l'employeur, plans
sociaux dans les entreprises rentables, implication
et responsabilisation des travailleurs, organisation
en réseau, etc.
Une même logique lie toutes les dimensions de
cette métamorphose : l'impératif du «flux tendu»,
sans stocks, sans pause dans la circulation du produit,
pousse à l'extrême l'exploitation du temps de
travail pour satisfaire des exigences de rendement
inédites dans l'histoire du capitalisme. Pourquoi les
travailleurs et les syndicats ont-ils si peu résisté, et
parfois collaboré, à une mutation qui intensifie le
travail sans améliorer sa rémunération ?
La peur entretenue du chômage n'explique pas
tout. La sociologie du travail révèle en effet les
stratégies et les jeux sociaux déployés par les individus
pour sortir du flux tendu, ou le rendre
acceptable. Mais cette implication contrainte des
salariés participe aussi d'une stratégie délibérée de
gestion du travail pour les conduire à internaliser
la contrainte de rentabilité, à ne plus concevoir la
distinction entre leur intérêt et celui de leur
patron. Loin du rapport de domination brute à
l'ancienne, le nouveau capitalisme met en place
une chaîne invisible, auto-entretenue par ceux-là
mêmes qu'elle aliène, une forme de servitude
volontaire.
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