À contre-pied de l'image aristocratique des vins fins développée à la fin du
XIXe siècle en Champagne et dans le Bordelais, de grands propriétaires viticoles
bourguignons initient dans l'entre-deux-guerres un folklore régionaliste commercial
pour promouvoir leur vin comme un vin de vignerons, un vin authentique,
un vin de terroir contre le vin du négociant, de la ville, artificiel. En
façonnant ce folklore selon leurs intérêts, les propriétaires puisent dans un élément
canonique du répertoire culturel, touristique et officiel de la construction
nationale moderne et républicaine sous la IIIe République.
Il faut inscrire le retournement marketing des vins de luxe dans le conflit politique
et juridique que se livrent sur le marché des vins, propriétaires et négociants
pour l'appropriation de la plus-value, ces derniers se déchirant entre
l'origine du raisin ou la marque comme critère premier de la qualité des vins.
C'est à une véritable enquête historique dans les élites modernisatrices de la
IIIe République que cet ouvrage nous convie. Les propriétaires et négociants
propriétaires de Meursault et Nuits-Saint-Georges, multipliant les alliances
inédites avec les élites politiques, universitaires, érudites et industrielles autour
du régionalisme culturel et économique, réussissent à défaire cette hiérarchie
du marché en s'attribuant politiquement et culturellement son contrôle.
Ce modèle d'un marketing traditionaliste fait alors école à la Libération pour
embrasser l'ensemble de l'économie alimentaire de luxe : un bon produit se
doit d'être de terroir, traditionnel. Ce n'est que très récemment que cette trajectoire
traditionnelle de la qualité française s'étiole sous la pression de la
concurrence internationale diffusant un modèle alternatif, plus technologique,
autour de la notion de cépage contre celle d'origine.
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