La ballade d'Ali Baba. Dédiée «aux quarante voleurs», La Ballade d'Ali Baba
est un hommage ébouriffant au père disparu. De Key West, où il conduit ses filles dans
sa Buick Wildcat turquoise afin de saluer la naissance de l'année 1969, à Kalamazoo,
où il les dépose pour une semaine et où il ne viendra jamais les récupérer, en passant
par Las Vegas où il prétend utiliser son aînée de dix ans, Érina, comme porte-bonheur
près des tables de jeu, Vassili Papadopoulos donne le change et veut épater la galerie.
De ce père fantasque et séducteur, qui très tôt usa la patience de sa femme, et qu'elle
ne revit que sporadiquement après le divorce de ses parents, Érina, la narratrice du
roman, n'a pas été dupe longtemps.
Le premier saisissement passé, c'est à peine si la spécialiste de Shakespeare qu'elle
est devenue s'étonne de le retrouver, vieillard frêle et vêtu d'un léger pardessus, dans
les rues de Montréal balayées par une tempête de neige, alors qu'il est mort neuf
mois plus tôt... Sans avoir rien perdu de son aplomb, il lui explique doctement, lui qui
a quitté l'école à quatorze ans, que son apparition lui permettra de comprendre enfin
la phrase de Hamlet - «le temps est hors de ses gonds» -, à laquelle elle a consacré
deux chapitres de sa thèse. Érina pressent qu'il ne va pas s'arrêter là.
Catherine Mavrikakis tutoie les fantômes et se joue de la chronologie dans cet
éblouissant portrait d'un homme dont l'existence nous est donnée par éclats, comme
à travers un kaléidoscope. À Rhodes qu'il quitta en 1939 avec sa famille, à Alger où,
très jeune, il dut gagner sa vie, à New York où il vint en 1957 «faire l'Américain» :
partout, il est terriblement présent, et terriblement attachant.
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