« Nous étions d'accord, Zeyetmayer et moi, que l'une des plus graves
maladies de la prétendue littérature d'aujourd'hui découle de ce qu'elle
laisse presque totalement de côté ce qui, dans la vie, est inévitable, ce
qui occupe même la plus grande partie de la vie, à savoir : la nécessité
de passer du temps avec les imbéciles et les crapules. »
Krivoklat, citoyen autrichien, est à nouveau interné en institution
psychiatrique. À chaque fois qu'il en sort, il réitère son geste
fou : asperger ou tenter d'asperger d'acide sulfurique un
chef-d'oeuvre de l'art occidental. Son idée fixe est de celles qui vous
donnent du talent. Son tourment, sa colère, sa passion déchirante,
il nous les expose dans un monologue torrentiel, atrabilaire et drôle
- que l'auteur a conçu comme un hommage au grand Thomas
Bernhard (1931-1989).
Bien entendu, le crime est passionnel : c'est par amour que Krivoklat
vandalise, persuadé que seule la perte, la catastrophe, pourra
réinvestir l'icône de son caractère irremplaçable. Dehnel s'amuse,
mais il nous livre aussi une réflexion passionnante et passionnée sur
l'art et sa puissance. L'art dont on se protège en le photographiant,
en le filmant, en en faisant des reproductions à l'infini. Et si Krivoklat
déverse des flots de haine sur la société occidentale, hypocrite et
vénale, il n'en révèle pas moins sa connaissance intime du geste
créateur. À travers l'évocation de son amour défunt, à travers aussi
son amitié pour un artiste de génie, Zeyetmayer, interné comme lui,
Krivoklat nous fait toucher du doigt ce qui, dans les chefs-d'oeuvre,
nous révèle à notre humanité.
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