Une nuit alors qu'il est au lit dans le noir et somnole la radio allumée, la musique de Mozart s'insinue dans la chambre et le réveille. L'émotion est si forte qu'il a peur de la perdre, de ne jamais pouvoir la revivre. Il se procure différents enregistrements de l'oeuvre, les écoute, mais chaque fois quelque chose manque, il ne retrouve pas le plaisir de cette nuit-là. Puis un jour il apprend que le concerto va être donné à Paris. Il décide de s'y rendre.
Peut-on éterniser une émotion musicale, empêcher le temps de l'altérer ? C'est ce que tente le narrateur, ébloui par le Concerto pour clarinette en la majeur de Mozart (K.622), qu'il a écouté, une nuit, à la radio. Il cherche à mettre en scène le plaisir et l'émotion qu'il a éprouvés à la première écoute. Mais s'il est possible de reproduire le décor extérieur, « le décor intérieur, lui, n'est pas reproductible ». Pour évoquer cette chute de l'absolu, ce passage de l'extase à la déception, Christian Gailly accomplit des variations pathétiques et burlesques, le narrateur prend une allure de clown perdu qui semble vouloir expier sa propre impossibilité à rejoindre la beauté. Comme hanté par l'idée de perdre la grâce vibrante de son récit, Christian Gailly le suspend à son moment le plus dense : l'approche tremblante des corps. Une pirouette narquoise interrompt la vague de lyrisme. Cette élégance de l'ironie, cette musique des mots brisée à son apogée, appartiennent en propre à Christian Gailly et sont la marque de son talent.
Jean-Noël Pancrazi, Le Monde
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