Que vienne mon tour et tu verras, ô grande bouche, de quel
velours je suis fait. Avec moi, tu ne connaîtras jamais plus
la nuit ni l'obscur du corps, mais une blancheur, une
blancheur éternelle.
Vil, veule, velléitaire, bêlant, le veau pleure sa grâce perdue,
son innocence laiteuse. Il appelle son élu, aspire à son
palais. Il met dans ses regrets et dans son désir de sacrifice
tout ce qu'il y a de plus haut et tout ce qu'il y a de plus
bas, en fier équilibriste de la chair blanche. Tour à tour
émouvant et odieux, l'enfant de la vache renie le taureau,
se réfugie dans le sentimental, puis sombre dans la violence
et rêve aux pires holocaustes.
Rien de ce qui est inhumain ne lui est étranger : la mort
partout présente, convoitée dès l'enfance, la pureté innommable
et ses terribles cruautés, le racisme enfin, les plus
terrifiantes persécutions bouchères... Son monologue,
ardent jusqu'au délire, révèle l'horreur qui se tapit sous
la mère, et ce qu'il y a de barbare dans la mièvrerie insinuante
des plus doux amis de l'homme.
Cette viande se croit destinée. Elle veut sauver le monde.
Le monde a du souci à se faire.
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