Si écrire est un luxe, tenir son journal est le luxe des luxes : on y étale ses peines, ses goûts, ses angoisses et ses bonheurs à longueur de page, comme si rien n'était plus important sur la Terre. Etre le centre du monde ou rien : voilà le programme. Tout, ici, est universel et essentiel. Tout, ici, est vital et urgent. Rien d'autre ne compte que de continuer à être le héros d'une existence qui se trouve, momentanément, être la mienne. Ce qui figure dans ce volume est le résultat de ce que j'en fais. Chaque jour est une page blanche. Pour la remplir, il faut remplir sa journée. Si elle est ennuyeuse, le lecteur s'ennuie. Doit-on exagérer sa manière d'écrire ou sa manière de vivre ? Dilemme.
Pour réussir son journal, il faut sortir de chez soi et surtout hors de soi : rencontrer les autres, c'est les raconter. Les croiser, c'est les croquer. Les voici vivants, même s'ils sont morts depuis. On meurt tous les soirs de toute façon : il nous faudrait un biographe par jour. Tenir son journal, c'est être son propre biographe du matin au soir. Impossible sans humour - un journal complaisant est pire qu'un roman raté. Impossible sans constance - un journal troué est pire qu'un dictionnaire incomplet. Impossible sans mégalomanie - un journal qui s'excuse est pire qu'un pamphlet gentil. L'art du journal repose sur ce fragile équilibre : être sans cesse immodeste en restant toujours humble.
Y. M.
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