«Je ne vais pas faire une conférence élégante et je ne vais pas faire une conférence. / Je ne sais pas parler, / quand je parle je bégaye parce qu'on me mange mes mots, / et pour manger il faut des bouches», voilà ce que pouvait écrire Antonin Artaud en préparant la conférence qu'il devait donner le 13 janvier 1947 au Théâtre du Vieux-Colombier. Et il est vrai que cette «séance» où il voulait lire plusieurs de ses récents poèmes a été tout autre chose qu'une conférence.
Les assistants qui se pressaient, très nombreux, dans cette salle où vingt-cinq ans auparavant il avait participé à la création, par la troupe de l'Atelier, de La vie est un songe, de Calderon, semblent tous avoir été marqués par l'événement; certains ont même trouvé insoutenable cette confrontation avec un homme qui s'exposait aussi totalement. Antonin Artaud, qui en présence de quelques amis était un si merveilleux lecteur, a paru, devant des spectateurs, éprouver la plus grande difficulté à lire les poèmes qu'il avait apportés: les feuillets lui échappaient, s'emmêlaient, tombaient sous la table. Et, après une interruption de quelques minutes, une fois revenu sur scène pour raconter l'histoire de sa vie, il ne parvint pas à lire le beau texte qu'il avait préparé et put tout juste, en donnant l'impression de souffrir intensément à chaque mot qu'il s'arrachait, faire le récit de quelques faits marquants de son existence.
Pourtant, il avait attaché une importance extrême à cette conférence et depuis novembre il y travaillait sans relâche. Outre les trois cahiers qu'il avait apportés avec lui au Vieux-Colombier, il avait, les mois précédents, en même temps qu'il composait Suppôt et Suppliciations, rempli des pages et des pages en vue de cette «séance». Ces texte, même si quelques-uns se présentent comme une succession de notes à développer par la suite, nous racontent une histoire dont ils cherchent à nous faire toucher la profonde vérité et, pour cela, empruntent souvent le ton du récit. Leur ensemble nous a paru quelque chose de si particulier, de si bouleversant, que nous avons estimé souhaitable de les réunir dans ce tome XXVI sous le titre choisi par Antonin Artaud pour annoncer sa reprise de contact avec le public.
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