Claude-Adrien Helvétius (1715-1771) fut après Rousseau le
philosophe français le plus connu et le plus lu dans l'Allemagne
du XVIIIe siècle. Or l'histoire de cette réception exceptionnelle
reste largement ignorée par la recherche. Le but de la présente
étude est de montrer pour la première fois la forte présence de
la pensée d'Helvétius dans l'oeuvre des principaux écrivains et
penseurs allemands des Lumières. Ceux-ci ont entretenu un
passionnant dialogue critique avec l'auteur de De l'esprit et de
De l'homme, qui va du rejet sans appel à une sympathie plus ou
moins avouée. L'affirmation par Helvétius de la toute-puissance
de l'éducation, c'est-à-dire des déterminations extérieures, sur
l'évolution de la personnalité humaine et le développement de
ses talents, sa claire prise de position en faveur de l'acquis au
détriment de l'inné, vont nourrir le débat anthropologique de
l'Aufklärung. Un débat qui est loin d'être clos de nos jours. Mais
c'est sa théorie de l'intérêt personnel comme source unique de
nos sentiments et de nos actes qui suscite le plus de discussions.
Souvent rejetée avec indignation, elle n'en provoque pas
moins une sourde inquiétude, voire une secrète fascination.
Helvétius est un philosophe pour romanciers et auteurs dramatiques
car il propose une clé pour la compréhension du comportement
individuel et de la vie sociale. De Wieland à Jean
Paul Richter, en passant par Jacobi, Schiller ou Wezel, les
auteurs allemands sont confrontés à sa psychologie des passions.
Un moment rejeté dans l'ombre par l'émergence des
grands systèmes philosophiques allemands, Helvétius connaîtra
au XIXe siècle une surprenante renaissance. Alors que Büchner
et Heine prônent le retour au sensualisme du siècle précédent,
Schopenhauer et Nietzsche rendent un hommage appuyé au
moraliste et au psychologue intègre qu'il fut à leurs yeux.
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