Jamais la gratuité n'a été aussi présente, vantée et disputée qu'à
l'ère numérique.
Ce phénomène historique et économique singulier est souvent
identifié à la baisse continue des coûts de traitement et de transport
de l'information. Or il consiste avant tout dans les «effets
de réseau» : grâce à l'extension du champ du codage binaire,
les innovations numériques (Internet, moteurs de recherche,
téléphones mobiles, moyens de paiement électroniques, télévision,
etc.) voient leur utilité croître avec le nombre d'utilisateurs.
Il faut donc conquérir le plus rapidement possible, par des subventions
habilement choisies et créatrices d'irréversibilités, une
masse critique d'utilisateurs. Résultat ? Des transferts mais aussi
des rentes, des conflits d'intérêts ; on ne propose plus du «moins
cher» comme au temps du fordisme et de sa concurrence par les
coûts, mais du gratuit, catalyseur de déploiement ; grâce à cela,
des monopoles émergent, avec la domination de Microsoft, le
succès de Google, le déploiement de la téléphonie mobile ou
des réseaux peer-to-peer...
Arme économique redoutable, le gratuit n'est plus une subversion
collective, mais un outil privé au service des entreprises. Ses
mécanismes sont plus subtils, plus violents, plus contestables
que les promesses qui les entourent. Qui a intérêt à donner ?
Comment les transferts s'opèrent-ils ? Dans quels buts, au bénéfice
de qui, en quête de quels effets ?
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