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Cet essai parle de mon attachement au Québec, ce coin des Amériques où je suis né, où j’ai mené presque toute ma vie active, où j’écris depuis plus de cinquante ans et auquel j’ai consacré l’essentiel de mes travaux. J’ai une dette importante envers ce territoire, cette société, cette nation, mais toute dette mérite d’être interrogée, tout héritage exige d’être soupesé. Mon amour du Québec n’est pas nationaliste si l’on entend par là que je placerais la nation au-dessus de tout, que je serais incapable de reconnaître ses tares, au passé comme au présent, ou encore que je serais obsédé par sa différence, sa distinction, sa spécificité. Reconnaître que le Québec est un cas unique dans l’histoire des Amériques, que sa situation linguistique fortement minoritaire au Canada et à plus forte raison sur le continent exige des politiques et motive un souci constant, être conscient des particularités de notre parcours historique – cela ne signifie aucunement que l’on doive se cantonner dans un provincialisme défensif et régressif qui en vient à considérer comme suspecte, voire péjorative, l’idée même d’un Québec ouvert, pluraliste, inclusif. À mes yeux, telle est pourtant l’idée de la nation qui colle le plus à sa réalité présente, et la seule apte à éviter sa stagnation et sa folklorisation.
Mon discours n’est pas celui d’un historien, d’un sociologue, d’un politologue, d’un juriste ni même d’un philosophe, bien que toutes ces disciplines me nourrissent et qu’elles occupent une large place dans ma bibliothèque. Mon point de vue sur le monde est celui d’un littéraire et donc d’un généraliste ou, mieux encore, d’un « écologiste du réel », une expression que j’emprunte à un livre que j’ai publié dans les années 1980 et qui considère que le monde que nous habitons est, à portée de langage, une totalité concrète, complexe, diversifiée, qui se maintient dans des interrelations, qui vit et se recrée sans cesse dans des échanges et dont nos discours ont le devoir de faire entendre la polyphonie, les discordances autant que les harmonies. Le Québec dont je parle est imprévisible, mais il commence au seuil de ma porte, dans la proximité des choses et des êtres, dans un équilibre instable qui est, au bout du compte, la seule manière d’exister.