Fragments d'un Paradis éclaire enfin sur l'art poétique de Giono et sa véritable religion de l'imaginaire verbal.
Peu lui importe de n'avoir pas navigué ; pour Giono le réalisme n'existe pas et ne saurait exister. Dans la mesure où il procède de forces supérieures à l'imagination humaine, le réel doit être, selon lui, plus fabuleux et incroyable que toutes nos chimères.
Ainsi faut-il admettre l'irruption de sensations purement terriennes dans l'univers marin, dont c'est une des caractéristiques de les exclure. Les raies géantes ont des odeurs de «champ de narcisses». Comme au-dessus de Manosque, le ciel des antipodes a des «grésillements de braise» et les étoiles ont «des cris de cristal».
On voit les images surgir, se polir, et garder mystérieusement leur palpitation première. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'oiseau y tient une grande place. Son frémissement évoque physiquement ce que Giono attend des mots eux-mêmes. Ainsi tombe le soir «rouge et terne comme un coq malade», ou telle «une aile de feu déployant ses plumes». Cela ne remplace pas Melville, ni Conrad, ni nos auteurs de grand large comme Henri Queffélec, Michel Mohrt ou Jacques Perret. Mais qu'est-ce que la «vraie mer» sinon celle qu'on porte en soi jusqu'à se faire porter par elle, et que lève la houle des mots ! Giono le dit bien : «La vérité objective n'existe pas, ce qui importe c'est d'être enchanté !»
Bertrand Poirot-Delpech
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