Espace public et démocratie délibérative : un tournant
Dans L'espace public (1962) Jürgen Habermas montrait comment à partir du XVIIIe siècle le principe de Publicité avait défini un nouvel espace politique au sein duquel s'opérait une médiation entre la société et l'État, sous la forme d'une « opinion publique » qui visait à transformer la nature de la domination. À travers les discussions publiques ayant pour objet des questions d'intérêt général, l'autorité politique était soumise au tribunal d'une critique rationnelle.
Mais bientôt, à l'heure des démocraties de masse, Habermas constatait (en 1990) que l'interpénétration des domaines privé et public conduisait à une manipulation de la Publicité par des groupes d'intérêts et à un singulier désamorçage de ses fonctions critiques subverties en un principe d'intégration.
Aujourd'hui, Habermas radicalise son analyse. Les réseaux sociaux effacent pour certains de leurs utilisateurs la délimitation constitutive entre sphère privée et sphère publique : chacun peut parler individuellement comme auteur d'une parole publique. Si dans l'espace public traditionnel, il fallait, pour devenir un tel auteur, se soumettre à la médiation des médias qui mesuraient la vérité, la rationalité et la cohérence logique de la parole, avec les réseaux sociaux la position d'auteur est immédiatement acquise pour chacun. Cette publicité immédiate de la parole intime et privée conduit à l'érosion des critères de rationalité.
« Maintenir une structure médiatique permettant à l'espace public de rester un espace inclusif et permettant à la formation de l'opinion et de la volonté publiques de conserver son caractère délibératif ne relève donc absolument pas du simple choix politique : il s'agit d'un impératif proprement constitutionnel. »
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