La sociologie aime plutôt les émotions fortes, celles qui bousculent le monde : la colère, la rage, le ressentiment, le goût du pouvoir, les grandes peurs... Elle aime les passions qui alimentent l'action : les passions religieuses, les passions politiques, la passion de connaître et de conquérir, l'avidité des uns et la haine des injustices des autres... Les sciences sociales aiment les émotions chaudes et énergiques, celles qui appellent l'engagement et poussent chacun à s'accomplir et à exister pleinement dans l'action, dans le travail, comme dans la vie politique et la vie amoureuse. Comment pourrait-il en être autrement dans des sociétés modernes ?
Contre ces passions fortes, Didier Lapeyronnie s'intéresse à l'ennui, à une émotion « plate », banale, insidieuse, une émotion discrète, vaguement gênante tant il est difficile d'avouer que l'on s'ennuie, que l'on renonce, que l'on se sent incapable d'être le sujet de sa vie quand le monde social indiffère jusqu'au point d'être indifférent à soi-même.
L'ennui est la face sombre de la modernité, c'est vers la littérature et la peinture qu'il faut se tourner pour essayer de le comprendre de l'intérieur et de ne pas le réduire à une simple pathologie. Dans cet essai brillant, qui aborde un sujet peu traité, Didier Lapeyronnie livre ici un ouvrage et une réflexion fascinante qui puise sa densité au coeur de la littérature et de la peinture.
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