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Roland Busselen éprouve jusqu’à la rage la dépossession de soi et du monde. Il trouve dérisoire la pensée elle-même, ce « défaut de l’esprit » devant la tragédie d’être. Duel, « suspect » à ses propres yeux, il s’adonne à « l’introversion exaspérée » tout en éprouvant quelque « pitié » pour soi, serait-ce dans de prudentes limites (« Hors moi je n’ai plus à qui me fier »). Le temps nous presse, le refuge en notre corps devient aléatoire. L’amour passe, sans vraie tendresse. Restent les mots, qui trahissent. Quand on veut remonter à la source, au secret, on a l’impression que la « langue (est) interdite aux approches de l’origine ». Sans cesse le poète gratte, récure. « Ce que je vois n’est qu’une partie/de l’invisible ». Il obéit à une règle très stricte : « fuir la dictature de la réalité sur le verbe ». Il ne supporte pas « le je brocanteur du quotidien ». Il refuse le figuratif. Il est donc condamné à la fable, à l’errance, aux prétextes de la survie, au bon usage de l’absurde. Les mots ne disent presque rien ou disent « ce qui ne leur appartient plus ». Des vers d’une grandeur un peu hagarde sillonnent cette œuvre : « Entre les mots, la mort ». « Moi = mot + ». Cette panique à vivre se réfère à un cosmique imposant, à panache, étrange parfois, où tourne aussi l’alphabet des ordinateurs — tout est tenté pour échapper à l’humain. De tels constats, bien sûr, créent le désir d’insensibilité, d’immobilité, de « gel ». Roland Busselen veut « apprendre à se taire », en écrivant dans la rigueur, l’orgueil, la lucidité et un « scepticisme sauveur ». « Cela qui n’a pas de nom », c’est la solitude. Il parvient à la tenir en échec, dans un lyrisme cruel, percutant, au moins dans l’espace guerroyant de poèmes qui nous giflent et traquent notre facile quiétude. Roland Busselen est un des premiers poètes de la génération née entre 1930 et 1950, entre le feu d’artifice surréaliste et la fin d’un monde. Jean BRETON