On nous parle d'une pratique particulière à la marine anglaise. Tous les cordages de la marine royale, du plus gros au plus mince, sont tressés de telle sorte qu'un fil rouge va d'un bout à l'autre et qu'on ne peut le détacher sans tout défaire ; ce qui permet de reconnaître, même aux moindres fragments, qu'ils appartiennent à la couronne.
À un moment bien précis de son élaboration, l'oeuvre d'art n'est plus dirigée par l'artiste lui-même mais par une entité autre, que Murielle Gagnebin dénomme Ego alter et dont elle cherche, ici, à faire l'histoire naturelle. C'est ainsi qu'elle définit l'essence de cette puissance à l'oeuvre dans l'oeuvre. Elle en traque le dévoilement qu'elle aborde, en deçà de la sublimation, par la notion psychanalytique de projection, avec son cortège de régressions et de dépersonnalisations, à travers des oeuvres littéraires (Rousseau, Artaud, Walser, des Forêts, Bonnefoy, Barthes) et des oeuvres plastiques (Van Gogh, certaines figures majeures du surréalisme, les frères Van Velde et des peintres contemporains tels De Kooning, Kahlo, Lucian Freud). Est exploré aussi le territoire de pareille advenue (où sont alors, convoqués plasticiens et cinéastes, tels Tarkovski, Sokurov, Lynch et Van der Keuken). Ces terres insolites ne sauraient être confondues avec le domaine du rêve, dont M. Gagnebin analyse les multiples fonctions, à même ce petit bijou incrusté dans tant de films. L'auteur s'interroge aussi sur les éclipses de cet Ego alter avec Beckett, Amiel, et Angelopoulos. Centrée sur certaines « peintures noires » emblématiques, la fin du livre permet à M. Gagnebin d'étudier les divers « interdits » adressés à cet Ego alter.
Les images subliminales de Bergman, les truquages de Russel, les photographies de Rondepierre, autant de manifestations aiguës de l'Ego alter, consacrent définitivement l'oeuvre d'art dans son autonomie et son authenticité.
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