Éloge des voleurs de feu
Cet Éloge s'imposa il y a bien longtemps. J'avais seize ans, et toi mon frère dix-huit, quand nous marchions dans les rues de New York à l'heure où le soleil couchant éclaboussait les tours. Tu scrutais le paysage, les visages blafards à six heures, la fumée qui jaillissait partout, luttant contre les ombres. Je compris que, hors de ce quotidien aveugle et sourd, il te fallait des mots, comme des ballons de couleur, pour toucher au coeur. Des mots de ces fous, qui s'en sont allés quérir au fond du désespoir la lueur qui ouvre le chemin, la passion qui fait sauter les verrous de la langue. Des mois durant ils agrandirent la vie.
Toi parti, il me restait ce devoir de l'aînesse: dire après la catastrophe, apprivoiser la parole pour les enfants de la peine. Oui, la poésie, pour vivre encore.
Contre le naufrage de la mémoire, contre les forces vaines, choisissons le combat qui grandit. Et partageons les mots de Rimbaud, d'Artaud ou de Duprey, de tous ces voleurs de feu qui allumèrent les brasiers de l'âme, pour ne bâtir d'autre empire qu'à l'intérieur de soi.
Tourne et craque la terre dans l'obscur mystère où se débattent voix et masques, victimes et bourreaux! Derrière l'urgence de chaque jour, je rêve d'une parole qui défriche, d'une parole qui sauve. Alors cet ouvrage, pour refuser la fatalité et le vertige, pour exorciser la peur qui crie au fond de nous!
D.V.
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