«Ah ! comme je suis mal fait pour ma part, si j'ose ainsi parler de moi,
mais je ne parle pas de moi ou je ne parle pas que de moi, parce que
nous sommes tous mal faits.» Cette phrase tirée d'Une main exprime
la complexité du rapport que Ramuz entretient avec l'écriture
autobiographique. Aux yeux de l'écrivain, sa trajectoire personnelle et
les événements qui la jalonnent ne sont pas dignes d'être confiés au
public. Sa vie individuelle lui apparaît comme anecdotique, et il se
refuse à attribuer à son parcours une qualité exceptionnelle, en dépit
des personnalités qu'il a fréquentées et du rôle qu'il a joué dans
l'histoire littéraire : «Toute sa vie, on va, on fait ; et c'est toujours
comme si on n'avait pas avancé, comme si on n'avait rien fait», écrit-il
encore dans Une main. Mais malgré ces allégations, Ramuz parle
souvent de lui, et utilise volontiers la première personne pour justifier
sa vision, ainsi qu'en témoignent ses essais des années 1930. A
l'exception notable de Découverte du monde, sa pratique de
l'autobiographie obéit au principe de généralisation qui régit sa
démarche d'essayiste. Dans Souvenirs sur Igor Strawinsky et dans
René Auberjonois, la remémoration n'est pas le support d'une
évocation de relations amicales, mais l'occasion de développer un
discours sur la condition de l'artiste et son statut d'élection. Dans
Vendanges comme dans Une main ou dans Paris (notes d'un
Vaudois), l'expérience individuelle n'est abordée que dans la mesure
où elle possède une valeur exemplaire, et qu'elle peut être partagée
avec le lecteur : d'où le recours à des figurations de soi qui placent la
sphère intime à distance. Plus que les vecteurs d'un discours
introspectif ou psychologique, le «petit Vaudois» de Paris (notes d'un
Vaudois) et le «petit garçon» de Découverte du monde sont les
incarnations d'une relation au réel que Ramuz tend à son public
comme il le ferait d'un miroir.
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