Eaux vives, peaux mortes

Qu'est-ce qui se cache dans le fouillis de la tête d'Alexandre Christiaens, dans ses tiroirs, derrière son oeil, dans ses photos ? Et surtout qu'est-ce qui s'y montre ? Un savant dosage, précisément - ou plutôt une intense confrontation - d'ordre et de désordre. L'objet de l'attention y côtoie souvent l'inconnu, l'indéfinissable ou l'impénétrable. Il s'agit d'isoler certains éléments (constater, certifier ou s'émouvoir), de découper un peu d'ordre dans le désordre, probablement ; mais surtout il s'agit d'ouvrir de nouvelles portes, de préserver l'ambiguïté, de creuser la doublure, le revers dans la profondeur des choses, à même l'apparence simple des phénomènes. Est-ce de la photo de reportage ? Certes, ce que l'image montre, désigne, sans aucun doute importe au photographe : l'humain, et comment il vit dans le vaste bruit du monde, fait de béton et d'horizon. Mais de la distance se manifeste dans le traitement plastique, dans la réflexion sur la couleur, sur les supports et les formats - sans que l'on tombe non plus dans une photographie purement et stérilement plasticienne. Et puis ce délicat déséquilibre nous parle sûrement, en fin de compte, de l'expérience d'une vie intérieure, d'une subjectivité. Ou pour le dire autrement: on reconnaît chez Christiaens des lieux de voyage (Roumanie, Grèce, Chine ou Inde.), des thèmes de prédilection (grottes et marines, métissages de la vie naturelle et de la friche industrielle, rapports d'inclusion ou d'exclusion dans l'espace), ou encore un vaste autoportrait en filigrane, et enfin une façon de faire privilégiée (la frontalité, une confrontation carrée à la puissance des matières, une manière ferme de camper sur une position), mais tous ces éléments sont pris dans le double vitrage des reflets et des doutes, dans la conscience d'être ou de faire image, dans une perpétuelle incertitude et une fragilité qui sont le garant même de leur énergie singulière. Emmanuel d'Autreppe (extrait)