Avant de passer dans le langage courant, « donner le change » désignait la ruse par laquelle un cerf traqué, brouillant la voie, en faisait courir un autre à sa place. Le temps d’une indistinction des corps, la proie se donnait en autre et par là s’échappait. Et si ce vertige au moment de la saisie, ce drame hallucinatoire de la scène de chasse animait encore secrètement nos textes ? À la pensée de Derrida viennent répondre ici Poe, Melville, Flaubert, Michaux, Cendrars et les archives de la vénerie. Aujourd’hui que « donner le change » n’est plus que métaphore, retrouver son sens oublié c’est mesurer l’obscur enjeu de cette capacité accordée jadis à l’être animal de déjouer nos comptes. Capacité peut-être de tout temps sue par la poésie, voire enfouie dans les plis du langage ordinaire : la rappeler, c’est repenser aussi bien ce qu’est le don, et le don du sens, que ce qu’est l’animal.
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