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L’adolescence, c’est peut-être, dans notre existence, l’instant du plus émouvant partage. Les yeux de Gilles, un jeune Arlésien, s’ouvrent à la vie, à l’histoire : il découvre les jeux et les plaisirs de l’amour, les cruautés de la guerre — nous sommes en 1944, les alliés ont débarqué, les bombardements meurtrissent la ville ; et, du lycée, il se trouve projeté dans la Résistance et participe modestement aux combats d’Arles, tel Fabrice à Waterloo. Mais ses yeux, aussi, sont lourds de rêves et de fantasmes venus de l’enfance et que gouverne l’image de sa mère, Laurence, morte en 1940 dans un accident d’auto en allant rejoindre, à Marseille, un amant qui ne se résignait pas à la défaite. Pour Gilles, elle s’est identifiée à la petite fille dont il a la photographie dans sa chambre et qu’il apprivoise en la réinventant. Car telle est la grande aventure de son existence : faire en sorte que la petite fille reste sa compagne secrète. Il imagine, sans trêve, de la disputer à son père, Georges Donadieu, devenu, dans son rêve, écolier comme lui, comme elle : Gilles châtie Georges, le rosse, et puisque, malgré tout, Laurence s’éprend de celui-ci, il s’efforce de la protéger contre la maladresse de son soupirant, qu’il initie à l’amour en lui procurant des filles — Henriette ou Dominique au choix — issues de ce quartier réservé d’Arles qui fut si cher à Henry Miller. C’est donc un double discours qu’avec délicatesse et subtilité, Jean-Marie Magnan entrecroise : le réel, dans ses élans les plus mouvementés, dans ses couleurs parfois sanglantes, n’a d’autre fin, ici, que de nourrir la vie rêvée, de lui donner une incarnation bouleversante et surprenante, où elle perd quelque peu de son innocence. Avec une autorité d’une admirable souplesse, qui lui permet, à la fois, de brosser des pages d’histoire contemporaine et de capter les moments les plus secrets de la vie intérieure de son héros, Jean-Marie Magnan, dont ce livre constitue une éclatante entrée dans les lettres, nous dépeint cette montée à l’âge d’homme qui est sans, aucun doute, le thème le plus riche et le plus déchirant de toute littérature romanesque.